Ici est faite la lecture analytique du poème "Vous me dites maîtresse" de Pierre de Ronsard. Il s'agit du vingt-quatrième poème du livre II des Sonnets pour Hélène tiré de son recueil Amours. Pour voir l'extrait cliquez ici.
Pierre
de Ronsard est l’un des plus grands poètes du XVIème siècle. Grand poète
à la cour du roi de France Charles IX, on le surnomme parfois le poète des
princes et le prince des poètes. Il a en effet eu une influence considérable
sur la poésie française des siècles qui suivront. A la tête d’un groupe composé
de sept grands poètes de son époque, et surnommé la Pléiade en référence à la
constellation, il a participé à l’installation du sonnet, une forme poétique fixe auquel nous avons ici
affaire, mais aussi au changement du mètre noble. Avant, les poètes préféraient
utiliser le décasyllabe dans leurs chansons de gestes épiques, Ronsard choisira
l’alexandrin de douze syllabes qui est toujours le mètre noble à l’heure
actuel.
Il
passera à la postérité, notamment grâce à son grand recueil Les Amours. Les sonnets pour
Hélène, dans lesquelles se trouve notre poème, est la dernière partie de ce
recueil, et est-elle même divisé en deux livres. Il s’agit des derniers poèmes
écrits par Ronsard à la fin de sa vie, où il chante l’amour qu’il éprouve pour
une des dames de compagnie de la reine qui est clairement identifiée et
s’appelait Hélène de Surgères. La construction des sonnets pour Hélène est
faite de manière logique. Dans le premier livre, Ronsard déclare son amour et
loue la beauté et la jeunesse d’Hélène.
Plus on avance dans l’ouvrage, et plus les poèmes se font pessimistes et
montre un visage cruel de cette jeune femme qui ne veux pas aimer le vieux
poète. Ce
poème « Vous me dites maîtresse, »
est situé à la moitié de l'œuvre et est en partie inspiré par la vie d'Hélène
de Surgères.
[Lecture extrait]
La
grande particularité de ce sonnet, que l'on remarque très rapidement, est qu'il
prend la forme d'une conversation entre Hélène et Ronsard. Il est donc intéressant de se demander
comment l’expression du sentiment amoureux, dans ce poème, est l’affirmation de
l’identité du poète. Pour cela nous verrons d’abord qu’il y a une opposition
des points de vue sur l’amour entre les deux amants. Ensuite nous nous
demanderons comment Ronsard se place en maître de l’amour.
Plusieurs
éléments, permettent au poète de montrer à son lecteur qu'il le place dans une
conversation où s'oppose deux points de vus. Tout d'abord l'on remarque la
présence de nombreux indices typographiques, notamment l'utilisation des deux
points aux vers 2 et 9 qui supposent deux prises de paroles distinctes. Il y a
également des guillemets ouverts au vers 9 et fermés au vers 14 qui encadrent plus clairement la deuxième
prise de parole. De plus, les paroles sont au style direct avec des temps du
présent et du futur, alors que les verbes de paroles « Vous me dites » (v1) et
« répondis » (v9)
au passé suggèrent que le poète se place dans un cadre rétrospectif. Hélène a
la parole dans les quatrains et Ronsard dans tercets, mais leurs volume de
paroles est identique : 6 vers chacun. Cette égalité laisse une équité
dans l'opposition entre les deux amants pour développer leurs arguments. La construction de ce sonnet est effectivement basée sur
une opposition des points de vue entre Hélène et Ronsard au sujet de l'amour et
comment lui faire face. Cette opposition est particulièrement visible dans le
jeu de répétition que fait le poète entre les propos d'Hélène et les siens.
Ainsi « le désert » (l3)
et « jeûne et oraison » (l6)
d'Hélène deviennent « les déserts »
(l12) et « ni jeunes ni
oraisons » (l14) chez Ronsard. Au contraire, « les flammes » (l7) deviennent
« la flamme » (l11).
Ces répétitions loin d'être dues à un manque d'arguments de Ronsard sont, par
leur changement de nombre, un moyen de marquer la confrontation de son point de
vue sur l'amour face à son amante.
Maintenant
que l'on sait que ce poème est une conversation amoureuse qui confronte deux
points de vue, il pourrait être intéressant de s'interroger sur le sens de ces
deux points de vue. Hélène, qui est la première à prendre la parole, à une
vision particulièrement pessimiste et inquiétante. Celle-ci est
particulièrement développée dans la métaphore du vers huit : « Ce cruel de mon sang ne pourrait se repaître ». L'adjectif « cruel »
à une connotation criminelle et violente tout comme le mot « sang » qui pourrait rappeler une
blessure. Le mot « sang » a
également une symbolique chrétienne très forte puisque dans cette religion, qui
était celle du poète et de l’État à l'époque, il est associé à la vie. Enfin,
le verbe « repaître » donne
l'impression qu'Amour prend plaisir à se nourrir de la vie de ses victimes. Il
apparaît finalement comme un Dieu malfaisant, voir un Démon, se rapprochant de
l'image du vampire qui a connu un certain
succès bien plus tard en littérature. Le point de vue d'Hélène suit donc le
dogme catholique de l'époque à la lettre, au contraire de celui de Ronsard.
En effet celui-ci se trouve plus dans la
nuance, comme le marque le passage du pluriel au singulier lors de la
répétition de flamme qui atténue profondément la violence ravageuse de la
passion amoureuse la transformant en une lumière plus diffuse. Il oppose
également « un Dieu » au
pluriel « les Dieux » au
vers 13, pour montrer que finalement l'amour surpasse tous les autres dieux païens
ou catholique. Il insiste d'ailleurs sur la puissance du dieu Amour avec
l'adverbe d'intensité « si puissant » (v13).
Ronsard voit donc l'amour comme une force supérieure contre laquelle il
est vain de lutter dans une vision plus moderne qui apparaîtra après les romans
libertins du XVIIème.
Dans
ce sonnet, Pierre de Ronsard oppose donc deux vision de l'amour, bien
différentes, dans le cadre d'une conversation amoureuse. Cependant cela lui
permet également de s'affirmer en temps qu'une sorte de maitre de l'amour
auprès d'Hélène.
Pour
s'affirmer en tant que maitre ou docteur de l'amour, Ronsard doit d'abord
montrer à son lecteur et à Hélène qu'il sait argumenter. Pour cela, il sert des
bases de la rhétorique en reprenant les arguments d'Hélène. Il démontre leur
inutilité en les réutilisant au pluriel ce qui les rend encore moins efficace
dans les propos de son amante puisqu'elle, les utilise au singulier. Il insiste
d'autant plus dans l'expression « jeûnes
ni oraisons » (l14) avec la conjonction de coordination négative « ni ». Il se sert d'une autre figure
de style de base de la rhétorique, la tautologie, au vers 10 « Qu'un feu ne soit pas feu ». Cela
lui permet de montrer au lecteur que son argumentation tient sur des arguments
simples, logiques et imparables. Paradoxalement, il marque également son savoir
par une anacoluthe c'est à dire une rupture de la construction traditionnelle
syntaxique. Ainsi il devrait dire « Vous
vous trompez » et nous « vous
trompez » (v9). Cette expression, qui s'affranchie sans
doute de la syntaxe traditionnelle pour des raisons de métrique, permet au
poète de se placer au-dessus d'Hélène d'un point de vue argumentatif.
Ronsard
marque également sa supériorité dans le domaine de l'amour sur Hélène en la
montrant au lecteur de son sonnet comme particulièrement inexpérimentée. Dans
ses propos, elle utilise le mode conditionnel « voudrais » (v4), « serait » (v5), « passerais » (v6), « défierais » (v7) et « pourrait » (v8). L'emploi de ce mode a une valeur
de souhait mais aussi d'incertitude contrairement à d'autres modes comme le
subjonctif. Son manque d'expérience est également marqué par le paradoxe du
vers 5 : A l'heure mon esprit de mes
sens serait maître. En effet chez les hommes le cerveau ne peut pas un
influencer la perception des sens de manière direct (ainsi on ne peut pas maîtriser les odeurs que l'on veut sentir par exemple). Le mot « sens » est donc probablement,
suivant la logique, associé au mot sentiment. Ce paradoxe montre qu'Hélène
manque d'expérience et confond les perceptions du monde extérieur et les
sentiments qu'elle peut éprouver au fond d'elle.
Le
poète au contraire se plaçant en véritable connaisseur de l'amour, toute la construction
du poème est faite pour que l'on se rallie à son point de vu. Ainsi, il
s'exprime en dernier et conclu le poème. Le lecteur fini sa lecture sur
l'argumentation de Ronsard sans entendre la réponse qu'Hélène pourrait lui
apporter. Contrairement à Hélène qui parle à la première personne marqué par la
répétition du pronom personnel (« je »
(v4, 6, 7) et « mon »
(v5, 8). Le choix du temps de ses verbes est, comme pour Hélène,
fait avec un grand soin. Ainsi dans ses paroles au style direct, il n'utilise
que du présent de l'indicatif (« trompez »
(v9), « voit »
(v11), « s'engendre »
(v12), « se peuvent »
(v14)) et du subjonctif (« soit »
(v10)). Tous ces présents ont une valeur de vérité générale, qui
s'emploi pour des faits considérés comme toujours vérifiés, permettent à
Ronsard de donner à son lecteur l'impression que ses paroles sont comme des
propriétés mathématiques ou des dictons populaires.
Finalement,
le sentiment amoureux est donc mis en scène d'une manière très originale dans
ce sonnet puisqu'il prend la forme d'une discussion amoureuse entre Ronsard et
Hélène de Surgères. Cette discussion est construite de manière rétrospective
pour mettre en valeur l'opposition de point de vue sur l'amour entre le poète
et sa maîtresse. Pour permettre à son lecteur de rallier son point de vu
Ronsard se sert de nombreux effets littéraires qui lui permettent de se donner
le rôle de docteur ès amour dans la ligné des grands magisters amoris latin
comme Ovide qui, dans L'Art d'Aimer,
dispensait de véritables cours de séduction et de gestion d'une relation
amoureuse. Il tout de fois intéressant de remarquer que la spécificité dans le
poème de Ronsard qui réside dans son opposition des points de vue préfigure, au
sortir du Moyen-Age, le débat d'opinion sur l'amour qui opposera les mœurs
catholiques aux libertins puis à la société laïque française.
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