mardi 29 mai 2018

Lecture analytique "Yeux qui versez en l'âme" de Ronsard


Ici est faite la lecture analytique du poème "Yeux qui versez en l'âme" de Pierre de Ronsard. Il s'agit du vingtième poème du livre II des Sonnets pour Hélène tiré de son recueil Amours. Pour voir l'extrait cliquez ici.

Pierre de Ronsard est l’un des plus grands poètes du XVIème siècle. Grand poète à la cour du roi de France Charles IX, on le surnomme parfois le poète des princes et le prince des poètes. Il a en effet eu une influence considérable sur la poésie française des siècles qui suivront. A la tête d’un groupe composé de sept grands poètes de son époque, et surnommé la Pléiade en référence à la constellation, il a participé à l’installation du sonnet, une  forme poétique fixe auquel nous avons ici affaire, mais aussi au changement du mètre noble. Avant, les poètes préféraient utiliser le décasyllabe dans leurs chansons de gestes épiques, Ronsard choisira l’alexandrin de douze syllabes qui est toujours le mètre noble à l’heure actuel.
              Il passera à la postérité, notamment grâce à son grand recueil Les Amours. Les sonnets pour Hélène, dans lesquelles se trouve notre poème, est la dernière partie de ce recueil, et est-elle même divisé en deux livres. Il s’agit des derniers poèmes écrits par Ronsard à la fin de sa vie, où il chante l’amour qu’il éprouve pour une des dames de compagnie de la reine qui est clairement identifiée et s’appelait Hélène de Surgères. La construction des sonnets pour Hélène est faite de manière logique. Dans le premier livre, Ronsard déclare son amour et loue la beauté et la jeunesse d’Hélène.  Plus on avance dans l’ouvrage, et plus les poèmes se font pessimistes et montre plus un visage cruel de cette jeune femme qui ne veux pas aimer le vieux poète. Ce poème « Yeux qui versez en l’âme » fait partie de ce second livre des sonnets pour Hélène même s’il n’est pas trop accusateur pour la jeune femme.
[Lecture extrait]
              Ce poème n’est donc pas une critique d’Hélène comme les tout derniers poèmes du recueil bien que l’on sente le poète un peu prisonnier de ces yeux.  Il est donc intéressant de se demander comment l’expression du sentiment amoureux, dans ce poème, est l’affirmation de l’identité du poète. Pour cela, nous nous intéresserons d’abord à l’expression du sentiment amoureux par le type poétique qu’est le blason. Ensuite nous verrons dans quelle mesure le poète se présente comme un savant en mystère.

              Ce poème est un blason c'est à dire qu'il s'attache à ne parler que d'un seul trait du physique de la femme pour la louer. Ici, le poète traite évidemment les yeux en les apostrophant comme le début du poème « Yeux » (v1). Cette apostrophe est reprise de manière symétrique au début du premier tercet (vers 9). Elle est au pluriel puisque les yeux vont par deux, d'ailleurs le poète utilisera ensuite le vouvoiement pour s'adresser à eux (« Vous » (v6, 8), « vos » (v7)). L'image qui ressort de ces yeux dans le poème est néanmoins très spirituelle comme en atteste la présence du mot « âme » (v1, 11). Ils ne sont que peu décrit réalistement alors le blason s'attache normalement à faire le portrait élogieux d'une partie du corps de l'être aimé de manière assez physique. En fait, Ronsard s'attache plutôt à décrire leur pouvoir sur son sentiment amoureux par différentes figures de style qui leur confèrent un pouvoir surnaturel.
              Les yeux d'Hélène semblent en effet posséder de grands pouvoirs sus la plume du poète. Avec la métaphore « forge d'Amour » (v9), ils deviennent les lieux d'un artisanat qui construisent un amour solide comme le fer des épées.  Le poète leur confère également des pouvoirs chrétiens. A l'aide des hyperboles, c'est à dire des exagérations poussées à l'extrême, « qui pourrait ressusciter les morts » (v2) et « vous faites Des miracles en moi, » (v6). Ces pouvoirs les rapprochent de Jésus et du Dieu chrétien qui étaient les personnages les plus puissants dans l'Europe catholique de XVIème siècle. Il joue également sur les possibilités d'interprétations, dans l'utilisation du verbe ravir au vers 12 (« de merveille ravi »). Cette figure, appelée syllepse, est très prisée en poésie car elle joue sur la polysémie des sens. Ainsi, le lecteur peut comprendre que les yeux ont le pouvoir de combler le poète mais aussi de l'emprisonner face à tant de merveille. Ce jeu polysémique permet au poète de doubler les pouvoirs surnaturels des yeux.
              Enfin, ce poème même s'il ne suit pas les conventions classiques du blason est imprégnés d'un registre lyrique. Le poète est bien en train de donner son propre avis et son point de vue sur les yeux d'Hélène au lecteur. On retrouve donc une surabondance des pronoms la première personne du singulier, le « je » est répété six fois (v3, 4, 12, 13), le « moi » (l6, 14) et « me » (l8, 11) deux fois chacun. On remarque également une double répétition des verbes « savoir » (l3, 4) et « sentir » (v12, 13). Ces deux répétitions sont faites de manière très symétrique avec le premier vers contenant une proposition affirmative et le deuxième une proposition négative. Les quarte propositions restent construites sur le même modèle simpliste je+savoir/sentir+proposition. Ces parallélismes syntaxiques et ces répétitions-variation permettent au poète d'appuyer le registre lyrique de son poème puisque ces quatre vers se faisant écho représentent plus d'un quart du sonnet.       

              Le poète exprime donc bien son sentiment amoureux à travers un lyrisme assumé, il se sert pour cela d'un type de poème poétique particulier : le blason. Cependant il détourne quelque peu les conventions de ces derniers puisqu'il fait des yeux une description plus spirituelle et émotionnelle que physique et réaliste en leur conférant de nombreux pouvoirs surnaturels. Pour voir et déclamer ces pouvoirs surnaturels, Pierre de Ronsard n'hésite pas à se placer en véritable savant en mystère.

              Le premier domaine dans lequel Ronsard se place en maître dès le premier vers est l'astrologie. Ainsi on retrouve un lexique lié au ciel tout au long du sonnet : « planètes » (v1), « foudroyant » (v7), « éclairs » (v10), « Soleil » (v14). On peut donc retrouver au moins une référence à ce domaine dans chacune des strophes de ce poème puisqu'à l'époque la foudre et l'éclair étaient des phénomènes mal connus et la culture populaire disait qu'ils se formaient au-dessus des nuages. Pierre de Ronsard commence d'ailleurs son poème à l'aide d'une comparaison astronomique « ainsi que deux planètes » (v1). Les yeux sont donc, dès le premier vers, comparés à des planètes puisque l'expression « ainsi que » est un comparant peu usité de nos jours. Le poème se s'achève également sur une référence astronomique au Soleil (« Ayant en moi l'effet qu'a le Soleil au monde » v14). Cette métaphore est une comparaison, cette fois indirecte, entre le pouvoir  qu'exerce les yeux d'Hélène sur le poète et le Soleil sur la Terre (dont l'on connaissait déjà l'importance).
              Certains mots du lexique de l'astrologie ont également des symboliques dans la mythologie gréco-romaine. Ainsi, la foudre et les éclairs sont l'attribut du foudre l'arme de Jupiter, dieu majeur régnant sur le ciel d'après cette mythologie. Ainsi les yeux sont investis par hyperbole du même pouvoir que Jupiter au vers 7 et 10. Il y a d'autres références à la mythologie gréco-romaine dont certaines hyperbolisent fortement le pouvoir des yeux d'Hélène comme celle des vers 9-10 : « Amour n'a point de traits Que les poignants éclairs... » Cette référence est une hyperbole très puissante pour les connaisseurs de mythologie puisque les flèches (dont le mot traits en est un synonyme) d'Amour sont si efficace que lui-même s'y étant piqué par mégarde serai tombé follement amoureux d'un mortelle, Psyché. Une autre référence à ces flèches est d'ailleurs glissée plus haut dans le poème avec l'hyperbole construite sur la répétition d'adjectifs numéraux « de cent mille sagettes » (v8). Cette référence est appuyée étymologiquement puisque que le mot « sagettes » est lui-même originaire du latin sagita, ae, f qui signifie la flèche, le trait. Avec cette abondance de références gréco-latines, Ronsard montre à son lecteur qu'en bon humaniste il connaît et maitrise parfaitement le savoir des anciens.
              Bien qu'humaniste et tourné vers l'Antiquité, Pierre de Ronsard reste un grand catholique et les références à cette religion sont pléthores dans ce sonnet. D'abord le lexique, on retrouve les mots « âme » (v1, 11), « esprit » (v2), « ressusciter les morts » (v2), « sang ni chair » (v5), « Des miracles » (v6). Mais au-delà du lexique ecclésiastique, c'est par une image qu'il tisse bien plus lentement qu'il marque son poème d'une empreinte catholique. En effet son poème commence par une comparaison avec deux planètes et s'achève par une métaphore avec le soleil. Si on peut y voir un simple attrait pour l'astrologie on retrouve également une forme de trinité chrétienne. Ainsi les yeux sont à la fois deux planètes et le soleil comme dieu est, pour les chrétiens, le père, le fils et le saint esprit. Ce parallélisme entre les propriétés d'Hélène va même plus loin puisque, comme dans la philosophie chrétienne du dieu multiple et unique à la fois, les yeux commencent étant deux planètes et se réunissent peu à peu sous la forme unique du soleil. Cette réunion est progressive puisque le poète utilise une phase intermédiaire qui est le vous désignant par un seul mot deux personnes. Cette unification du plusieurs en un est intimement lié à la conception chrétienne de dieu mais aussi à l'image de l'amour. En effet les amants sont deux personnes ne formant plus qu'un grâce à l'amour dans une élévation marquée par le passage de la comparaison, figure simple, à la métaphore plus sophistiquée. Avec cette image savamment orchestrée, Pierre de Ronsard s'affirme donc en prédicateur chrétien de l'amour.

              Dans ce sonnet, Pierre de Ronsard se sert donc du blason pour faire une description très imagée et spirituelle des yeux d'Hélène, la femme qu'il aime. Il se sert de ces images pour montrer l'étendue de ses connaissances dans des domaines très variées tels que la religion, l'astronomie ou la mythologie gréco-latine. En construisant une image très puissante tout le long de son sonnet il se place en savant presque prédicateur mystique. Peut-être s'est-t-il inspiré des mouvements occultistes très à la mode à l'époque à la cour de Catherine de Médicis. Dont Nostradamus, s'il l'on peut le considérer comme un auteur, en est un des plus fameux représentants.  

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