mercredi 13 juillet 2016

Smartphone mon amour [essai littéraire]


Le soleil ne s’est pas encore levé que déjà sa lumière vous éveille. 6h40. Au son de son clairon soigneusement réglé vous êtes levés. Adieu vieux réveil matin strident et peu fiable ! Il est le dernier à vous avoir quitté hier soir et le premier à votre chevet ce matin. Sa lumière bleutée vous apaise. Il s'éloigne rarement du chaud confort de votre poche; toujours fidèle. Au garde à vous. Il est opérationnel par simple appel de bouton. A vos ordres par un glissement furtif ou un doigt simplement posé. Il répond toujours présent pour vous livrer messages, précieuses informations ou prompts divertissements. Il enchante vos doigts qui sur son écran deviennent fées. Vous êtes magiciens, un écran allumé, vous pouvez lire sans papier et écrire sans stylo. Vos doigts s’emplissent d’un d’un pouvoir que le foudre ne peut surpasser et leur ballet, sur sa piste de verre, communiquent avec le monde connecté. Prenez garde à ce lac glacé qui se pare de milles couleurs changeantes car il ensorcelle, sournoisement, vos yeux. Votre esprit se préoccupe sans cesse de lui et votre cœur ne bat plus en son absence. Bientôt vous ne pourrez plus penser qu’a ce messager d’Amour, et des autres Dieux. Ô, Hermès ! Sous nos yeux aveuglés volent tes sandales ailées en ondes organisées et tu nous vole notre amour. Et, vous, quelle joie vous emporte lorsque vous entendez un son ou une vibration venant de sa coque sans vie. Et peu importe si la nouvelle est néfaste. Peu importe puisque cela vous déconnecte de votre morose réalité ! Mais prends garde à toi, vaillant soldat, car tu devient bien vite obsolète et ton service ne dure qu’un


temps.

mercredi 6 juillet 2016

"Vous me dites maîtresse" de Ronsard


Ici est faite la lecture analytique du poème "Vous me dites maîtresse" de Pierre de Ronsard. Il s'agit du vingt-quatrième poème du livre II des Sonnets pour Hélène tiré de son recueil Amours. Pour voir l'extrait cliquez ici.


            Pierre de Ronsard est l’un des plus grands poètes du XVIème siècle. Grand poète à la cour du roi de France Charles IX, on le surnomme parfois le poète des princes et le prince des poètes. Il a en effet eu une influence considérable sur la poésie française des siècles qui suivront. A la tête d’un groupe composé de sept grands poètes de son époque, et surnommé la Pléiade en référence à la constellation, il a participé à l’installation du sonnet, une  forme poétique fixe auquel nous avons ici affaire, mais aussi au changement du mètre noble. Avant, les poètes préféraient utiliser le décasyllabe dans leurs chansons de gestes épiques, Ronsard choisira l’alexandrin de douze syllabes qui est toujours le mètre noble à l’heure actuel.
            Il passera à la postérité, notamment grâce à son grand recueil Les Amours. Les sonnets pour Hélène, dans lesquelles se trouve notre poème, est la dernière partie de ce recueil, et est-elle même divisé en deux livres. Il s’agit des derniers poèmes écrits par Ronsard à la fin de sa vie, où il chante l’amour qu’il éprouve pour une des dames de compagnie de la reine qui est clairement identifiée et s’appelait Hélène de Surgères. La construction des sonnets pour Hélène est faite de manière logique. Dans le premier livre, Ronsard déclare son amour et loue la beauté et la jeunesse d’Hélène.  Plus on avance dans l’ouvrage, et plus les poèmes se font pessimistes et montre un visage cruel de cette jeune femme qui ne veux pas aimer le vieux poète. Ce poème « Vous me dites maîtresse, » est situé à la moitié de l'œuvre et est en partie inspiré par la vie d'Hélène de Surgères.
[Lecture extrait]
            La grande particularité de ce sonnet, que l'on remarque très rapidement, est qu'il prend la forme d'une conversation entre Hélène et Ronsard.  Il est donc intéressant de se demander comment l’expression du sentiment amoureux, dans ce poème, est l’affirmation de l’identité du poète. Pour cela nous verrons d’abord qu’il y a une opposition des points de vue sur l’amour entre les deux amants. Ensuite nous nous demanderons comment Ronsard se place en maître de l’amour.

            Plusieurs éléments, permettent au poète de montrer à son lecteur qu'il le place dans une conversation où s'oppose deux points de vus. Tout d'abord l'on remarque la présence de nombreux indices typographiques, notamment l'utilisation des deux points aux vers 2 et 9 qui supposent deux prises de paroles distinctes. Il y a également des guillemets ouverts au vers 9 et fermés au vers 14  qui encadrent plus clairement la deuxième prise de parole. De plus, les paroles sont au style direct avec des temps du présent et du futur, alors que les verbes de paroles « Vous me dites » (v1) et « répondis » (v9) au passé suggèrent que le poète se place dans un cadre rétrospectif. Hélène a la parole dans les quatrains et Ronsard dans tercets, mais leurs volume de paroles est identique : 6 vers chacun. Cette égalité laisse une équité dans l'opposition entre les deux amants pour développer leurs arguments. La construction de ce sonnet est effectivement basée sur une opposition des points de vue entre Hélène et Ronsard au sujet de l'amour et comment lui faire face. Cette opposition est particulièrement visible dans le jeu de répétition que fait le poète entre les propos d'Hélène et les siens. Ainsi « le désert » (l3) et « jeûne et oraison » (l6) d'Hélène deviennent « les déserts » (l12) et « ni jeunes ni oraisons » (l14) chez Ronsard. Au contraire, « les flammes » (l7) deviennent « la flamme » (l11). Ces répétitions loin d'être dues à un manque d'arguments de Ronsard sont, par leur changement de nombre, un moyen de marquer la confrontation de son point de vue sur l'amour face à son amante.
            Maintenant que l'on sait que ce poème est une conversation amoureuse qui confronte deux points de vue, il pourrait être intéressant de s'interroger sur le sens de ces deux points de vue. Hélène, qui est la première à prendre la parole, à une vision particulièrement pessimiste et inquiétante. Celle-ci est particulièrement développée dans la métaphore du vers huit : « Ce cruel de mon sang ne pourrait se repaître ». L'adjectif « cruel » à une connotation criminelle et violente tout comme le mot « sang » qui pourrait rappeler une blessure. Le mot « sang » a également une symbolique chrétienne très forte puisque dans cette religion, qui était celle du poète et de l’État à l'époque, il est associé à la vie. Enfin, le verbe « repaître » donne l'impression qu'Amour prend plaisir à se nourrir de la vie de ses victimes. Il apparaît finalement comme un Dieu malfaisant, voir un Démon, se rapprochant de l'image du vampire  qui a connu un certain succès bien plus tard en littérature. Le point de vue d'Hélène suit donc le dogme catholique de l'époque à la lettre, au contraire de celui de Ronsard.
En effet celui-ci se trouve plus dans la nuance, comme le marque le passage du pluriel au singulier lors de la répétition de flamme qui atténue profondément la violence ravageuse de la passion amoureuse la transformant en une lumière plus diffuse. Il oppose également « un Dieu » au pluriel « les Dieux » au vers 13, pour montrer que finalement l'amour surpasse tous les autres dieux païens ou catholique. Il insiste d'ailleurs sur la puissance du dieu Amour avec l'adverbe d'intensité « si puissant » (v13).  Ronsard voit donc l'amour comme une force supérieure contre laquelle il est vain de lutter dans une vision plus moderne qui apparaîtra après les romans libertins du XVIIème.

            Dans ce sonnet, Pierre de Ronsard oppose donc deux vision de l'amour, bien différentes, dans le cadre d'une conversation amoureuse. Cependant cela lui permet également de s'affirmer en temps qu'une sorte de maitre de l'amour auprès d'Hélène.

            Pour s'affirmer en tant que maitre ou docteur de l'amour, Ronsard doit d'abord montrer à son lecteur et à Hélène qu'il sait argumenter. Pour cela, il sert des bases de la rhétorique en reprenant les arguments d'Hélène. Il démontre leur inutilité en les réutilisant au pluriel ce qui les rend encore moins efficace dans les propos de son amante puisqu'elle, les utilise au singulier. Il insiste d'autant plus dans l'expression « jeûnes ni oraisons » (l14) avec la conjonction de  coordination négative « ni ». Il se sert d'une autre figure de style de base de la rhétorique, la tautologie, au vers 10 « Qu'un feu ne soit pas feu ». Cela lui permet de montrer au lecteur que son argumentation tient sur des arguments simples, logiques et imparables. Paradoxalement, il marque également son savoir par une anacoluthe c'est à dire une rupture de la construction traditionnelle syntaxique. Ainsi il devrait dire « Vous vous trompez » et nous « vous trompez » (v9). Cette expression, qui s'affranchie sans doute de la syntaxe traditionnelle pour des raisons de métrique, permet au poète de se placer au-dessus d'Hélène d'un point de vue argumentatif.
            Ronsard marque également sa supériorité dans le domaine de l'amour sur Hélène en la montrant au lecteur de son sonnet comme particulièrement inexpérimentée. Dans ses propos, elle utilise le mode conditionnel « voudrais » (v4), « serait » (v5),  « passerais » (v6), « défierais » (v7) et « pourrait » (v8). L'emploi de ce mode a une valeur de souhait mais aussi d'incertitude contrairement à d'autres modes comme le subjonctif. Son manque d'expérience est également marqué par le paradoxe du vers 5 : A l'heure mon esprit de mes sens serait maître. En effet chez les hommes le cerveau ne peut pas un influencer la perception des sens de manière direct (ainsi on ne peut pas maîtriser les odeurs que l'on veut sentir par exemple). Le mot « sens » est donc probablement, suivant la logique, associé au mot sentiment. Ce paradoxe montre qu'Hélène manque d'expérience et confond les perceptions du monde extérieur et les sentiments qu'elle peut éprouver au fond d'elle.
            Le poète au contraire se plaçant en véritable connaisseur de l'amour, toute la construction du poème est faite pour que l'on se rallie à son point de vu. Ainsi, il s'exprime en dernier et conclu le poème. Le lecteur fini sa lecture sur l'argumentation de Ronsard sans entendre la réponse qu'Hélène pourrait lui apporter. Contrairement à Hélène qui parle à la première personne marqué par la répétition du pronom personnel (« je » (v4, 6, 7) et « mon » (v5, 8). Le choix du temps de ses verbes est, comme pour Hélène, fait avec un grand soin. Ainsi dans ses paroles au style direct, il n'utilise que du présent de l'indicatif (« trompez » (v9), « voit » (v11), « s'engendre » (v12), « se peuvent » (v14)) et du subjonctif (« soit » (v10)). Tous ces présents ont une valeur de vérité générale, qui s'emploi pour des faits considérés comme toujours vérifiés, permettent à Ronsard de donner à son lecteur l'impression que ses paroles sont comme des propriétés mathématiques ou des dictons populaires.



            Finalement, le sentiment amoureux est donc mis en scène d'une manière très originale dans ce sonnet puisqu'il prend la forme d'une discussion amoureuse entre Ronsard et Hélène de Surgères. Cette discussion est construite de manière rétrospective pour mettre en valeur l'opposition de point de vue sur l'amour entre le poète et sa maîtresse. Pour permettre à son lecteur de rallier son point de vu Ronsard se sert de nombreux effets littéraires qui lui permettent de se donner le rôle de docteur ès amour dans la ligné des grands magisters amoris latin comme Ovide qui, dans L'Art d'Aimer, dispensait de véritables cours de séduction et de gestion d'une relation amoureuse. Il tout de fois intéressant de remarquer que la spécificité dans le poème de Ronsard qui réside dans son opposition des points de vue préfigure, au sortir du Moyen-Age, le débat d'opinion sur l'amour qui opposera les mœurs catholiques aux libertins puis à la société laïque française.