jeudi 21 avril 2016

Lecture analytique de "Quand vous serez bien vieille" de Ronsard



Ici est faite la lecture analytique du poème "Quand vous serez bien vieille" de Pierre de Ronsard. Il s'agit du vingt-quatrième poème du livre II des Sonnets pour Hélène tiré de son recueil Amours. Pour voir l'extrait cliquez ici.


          Pierre de Ronsard est l’un des plus grands poètes du XVIème siècle. Grand poète à la cour du roi de France Charles IX, on le surnomme parfois le poète des princes et le prince des poètes. Il a en effet eu une influence considérable sur la poésie française des siècles qui suivront. A la tête d’un groupe composé de sept grands poètes de son époque, et surnommé la Pléiade en référence à la constellation, il a participé à l’installation du sonnet, une  forme poétique fixe auquel nous avons ici affaire, mais aussi au changement du mètre noble. Avant, les poètes préféraient utiliser le décasyllabe dans leurs chansons de gestes épiques, Ronsard choisira l’alexandrin de douze syllabes qui est toujours le mètre noble à l’heure actuel.
         Il passera à la postérité, notamment grâce à son grand recueil Les Amours. Les sonnets pour Hélène, dans lesquelles se trouve notre poème, est la dernière partie de ce recueil, et est-elle même divisé en deux livres. Il s’agit des derniers poèmes écrits par Ronsard à la fin de sa vie, où il chante l’amour qu’il éprouve pour une des dames de compagnie de la reine qui est clairement identifiée et s’appelait Hélène de Surgères. La construction des sonnets pour Hélène est faite de manière logique. Dans le premier livre, Ronsard déclare son amour et loue la beauté et la jeunesse d’Hélène.  Plus on avance dans l’ouvrage, et plus les poèmes se font pessimistes et montre un visage cruel de cette jeune femme qui ne veux pas aimer le vieux poète. Ce poème « Quand vous serez bien vieille, » est l’un des derniers du recueil et il ne faut donc pas s’attendre à une louange magnifique d’Hélène.
[Lecture extrait]
         Ce poème n’est donc pas un poème très élogieux pour un poème adressé à la femme que l’on aime. Il est donc intéressant de se demander comment l’expression du sentiment amoureux, dans ce poème, est l’affirmation de l’identité du poète. Pour ce faire nous verrons d'abord dans quelle mesure ce poème est une déclaration d'amour atypique puis quel est le rôle que et la place que se donne le poète.

             La première chose qui se ressort à la lecture de ce poème est qu’il traite de manière très particulière l’amour. En effet, malgré la vision particulièrement dégradante que livre Ronsard de Hélène, il est peut être, encore une fois, en train de lui faire une déclaration d’amour.
            Ronsard nous montre un portrait d’Hélène vieillie grâce à l’emploi du futur « serez » (v1), « Direz » (v3) « n’aurez » (v5). Cette vieillesse pèse visiblement sur Hélène puisqu’on ne la voit jamais debout. Au début elle est « assise » (v2) dans les quatrains puis « accroupie » (v11), comme si elle était en train de s’effondrer avec l’âge. On peut également y voir un passage d’un statut humain à un statut animal puisque le poète choisit le verbe accroupir qui est formé sur le radical croupe désignant le postérieur de certains animaux. Cette image renvoi l’idée d’une créature extrêmement faible ou peut-être en train de faire ses besoins. Cette image ambiguë que nous livre Ronsard est très dégradante d’autant plus qu’il inverse les rôles. En effet, il dit que dans sa vieillesse, Hélène regrettera « son fier dédain » (v12) du moment où lui-même était vieux et qu’il lui déclarait son amour. L’emploi de l’adjectif « fier »  n’est pas péjoratif en tant que tel à l’époque puisqu’il s’agissait de l’un des valeurs de la noblesse sous l’Ancien Régime. En revanche le mot « dédain » sonne comme un reproche que fait Ronsard à son Hélène et qui déforme l’adjectif « fier » lui donnant un sens plus péjoratif comme si Hélène était insensible aux douleurs de Ronsard. Le poète profite donc de ce poème pour rendre la pareille à Hélène qu’il trouve cruelle.
            En plus de présenter au lecteur un portrait physique extrêmement cruel d’Hélène il lui montre aussi l’ennui de ses occupations qui ne servent qu’à faire passer le temps. On la voit « dévidant et filant » (v2). Cette activité revêt un symbolisme très fort puisqu’en plus d’être l’une des activités traditionnelles de la femme à l’époque, elle est également une référence antique au trois Parques. Ces trois déesses sœurs de la mythologie latine, défilent le fil du destin de la vie de chaque individu et décident quand celle-ci se termine en coupant ce même fil. En Europe, elles sont devenues par la suite une des principales allégories du caractère éphémère et fuyant de la vie dans tous les domaines artistiques. De plus, l’emploi du participe présent n’est pas anodin puisqu’il se continue dans les vers suivants avec « chantant » (v3), « émerveillant » (v3) « oyant » (v5) « sommeillant » (v6) « réveillant » (v7) « Bénissant » (v8). Cette utilisation massive de participe, avec l’emploi de mots comme « chandelle » (v1) « temps » (v4), « servante » (v5), «louange » (v8) qui créent une assonance en [an].  Ces treize assonances créent dans les deux quatrains une redondance dans la musicalité que l’on peut  associer à la redondance du filage de laine. On note d’autres références au passage du temps comme « la chandelle » (v1) qui se consume très rapidement et qui fut une image très reprise par les baroques.
            Ronsard montre donc la vieillesse d’Hélène comme dégradante et ennuyeuse. On peut y voir une cruauté de la part de Ronsard mais aussi une invitation à profiter de la vie et de l’amour qu’il porte à sa jeunesse. Ce thème en poésie est dit du « carpe diem » en référence à la chute d’un des poèmes  des Odes du poète latin Horace. En effet, celui-ci termine son poème par le vers « carpe diem, quam minimum credula postero », soit « cueille le jour et crois le moins possible au lendemain ». En fait en latin, le verbe « carpe » à pour traduction arracher, brouter, cueillir. Ronsard associe donc son verbe « cueillez » (v14) aux roses d’une manière moins métaphorique qu’Horace qui l’associe à « jour ». Ce choix s’explique par les visions de l’amour courtois médiéval dont Ronsard est l’héritier et qui associait la femme à une rose comme dans Le Roman de la Rose, par exemple. On retrouve d’autres reprises du poème d’Horace comme l’emploi des impératifs  « Vivez » (v13) et « Cueillez » (v14). Ces inspirations des poètes antiques, s’inscrivent dans la pensée humaniste de l’époque et permettent à Ronsard de chanté l’amour malgré un poème péjoratif envers Hélène au premier abord.

         Ronsard exprime donc bien son sentiment amoureux  en s’inspirant des grands poètes latins, malgré le portrait peu élogieux qu’il fait de son apparence physique dans le futur. Nous allons maintenant nous intéresser à la façon dont il se définit son identité et son rôle de poète.
               
         Dans les deux tercets, le poète nous montre également ce qu’il va lui arriver quand Hélène sera vieille. Il utilise le lieu commun « Je serai sous la terre » (v9) pour nous faire comprendre, de manière euphémismée, qu’il sera mort. Pourtant sa mort ne semble pas aussi cruelle que la vieillesse d’Hélène et parait même bien tranquille et apaisée. Il se définit à l’aide d’un pléonasme, comme un futur « fantôme sans os » (v9). Ce pléonasme, puisqu’un fantôme n’a normalement pas d’os, permet d’insister sur la légèreté de sa mort qui s’oppose à la vieillesse écrasante d’Hélène. Le vers suivant, « Par les ombres myrteux, je prendrais mon repos, » (v10) est également révélateur de la mort dans laquelle il se présente. En effet dans les Enfers gréco-romaines, où tous les hommes reposent selon leur vie, le Bois de Myrte est le lieu de séjour des amants (le myrte étant le symbole de Vénus). Il ne se présente donc pas dans un paradis chrétien, ce qui pourrait sans doute être blasphématoire, mais dans un paradis païen qui met mieux en relief son existence passée à chanter l’amour. Quand l’utilisation du verbe « reposer » celle-ci est révélatrice de la pensée de Ronsard qui pense que le poète transcende la mort par son art. 
         Plusieurs indices nous laissent à penser que Ronsard porte un point de vue qui va dans ce sens dans son poème. D’abord par le fait qu’il fasse apparaitre son propre nom, « Ronsard » (v6) dans le poème, ce qui est assez rare en poésie. Cette apparition se fait dans les paroles d’Hélène au discourt direct, comme la marque l’emploi des guillemets alors que ce dernier est mort et appartient à un passé révolu grâce à l’emploi du seul imparfait du poème « me célébrait » (v6). Ronsard montre donc à son lecteur qu’il est encore bien vivant dans les pensées et les paroles d’Hélène malgré sa mort. Le tissage d’Hélène peut également être une marque de sa fidélité à Ronsard par-delà la mort. En effet, une autre femme de la mythologie antique tissait par fidélité envers son mari : « la sage Pénélope ».  Il peut s’agir d’une référence à l’Odyssée d’Homère ou Pénélope tissera pendant dix ans pour échapper à ses prétendants et rester fidèle à son mari Ulysse alors qu’elle ignore s’il est encore en vie. Cependant la fidélité d’Hélène à Ronsard semble réciproque puisque celui-ci dit l’avoir rendu immortelle dans le huitième alexandrin « Bénissant votre nom de louange immortelle »  donc la construction parfaitement régulière (3-3/3-3) en fait un vers très solennel. Cette solennité est d’autant plus forte que le poète utilise un registre religieux catholique avec le verbe « Bénissant » et le nom « louange » qui est un type de prière.  
         Le poète peut donc transcender et faire transcender la mort, mais on peut également identifier un rôle plus didactique dans ce poème. Celui-ci est particulièrement visible dans le dernier tercet du poème garce à l’emploi de impératifs présents «  Vivez » (v13) et « Cueillez » (v14) qui ont une valeur de conseils pour le lecteur. Les deux quatrains sont composés d’une seule longue phrase narrative avec de nombreux verbes d’action comme dévider (v2), filer (v2), dire (v3), etc… Certains de ces verbes sont au futur comme « serez » (v1), « Direz » (v2), « n’aurez » (v5). Ronsard choisi le futur, et non le conditionnel, avec une modalité de certitude. C’est une manière de montrer qu’il est totalement sur de ce qu’il va arriver : le poète devient un voyant ayant connaissance du futur.

            Finalement, Pierre de Ronsard exprime son sentiment amoureux à travers un portrait pour le moins dégradant et cruel d’une Hélène de Surgères vieillie. Cette particularité lui permet de justifier, à la manière des poètes latins qu’il imite le thème du carpe diem mais aussi de montrer les rôles et la place des poètes face à la postérité. Il montre que l’identité du poète peut transcender la mort en restant gravé et en influençant l’esprit des vivants. Ce poème en est une illustration puisqu’il reprend les images d’Horace et de Catulle. Le recueil des sonnets pour Hélène en est également une illustration puisque ils ont largement influencé la poésie française. Comme plusieurs commentateurs de la poésie, on peut donc s’interroger sur le destinataire réel de la poésie. Le poète s’adresse-t-il à la postérité où à une personne ayant réellement existé. Les poètes latins avaient tranché et ne s’adressaient généralement qu’à des femmes fictives (Leuconoé pour Horace ou Lesbie pour Catulle). Cependant avec Ronsard et les poètes qui lui ont succédé le ou les destinataires sont plus flous.      

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