Ernest était un soldat allemand sur le front ouest (France), il fut marqué à jamais par l'expérience, très violente, de la guerre des tranchées.
A Madame Marthe Duval et sa fille Jeanne,
A Madame Marthe Duval et sa fille Jeanne,
Je
suppose que vous devez être
bien étonné de recevoir cette missive alors que vous ne pensiez
plus recevoir
de courrier du front. Alors même
que le dernier qui vous est arrivé était l'enveloppe noir du
malheur et du chagrin que vous ne souhaitiez, j'imagine, recevoir
pour rien au monde. Hélas cette lettre sera
peut
être
pour vous
pire encore car ,comme vous l'avez sans doute déjà
remarqué,je m'appelle Ernest et je me bats
du côté
allemand du front. "Un ennemi !" vous exclamerez vous sans
doute d'une vois effrayé; et je ne pourrais que vous donner raison.
En effet, depuis la mort de votre époux je suis même
devenu, pour vous, l'Ennemi.
C'est
moi qui, de mes propres mains jadis d'une blancheur candide mais
désormais taché du sang noir des défunts, ai volé la vie de votre
mari, le père de votre fillette innocente. Je vous ai fait compagne
et enfant de la mort, veuve et orpheline. Jamais je ne pourrais
m’accorder un pardon et tous les efforts des religieux pour
racheter mon âme
auprès
de Dieu resterons vain. Jamais son visage et son nom ne s’effaceront
de ma mémoire. Chaque fois que je fermerai mes yeux, je le
reverrais, souffrant. Plus jamais je ne connaîtrai
le vrai repos et la paix éternelle.
Pourtant
tout s'est passé si vite, sur ce bout de terre labouré par les
obus. Je m'étais
mis à l'abri de la canonnade dans un trou creusé par l'un de ces
oiseaux de la mort. A l’abri,
seul, j'écoutais le bruit des explosions,
comme petit je comptais les secondes d'intervalle entre la lumière
éblouissante de l'éclair et le bruit sourd de l'orage. Sauf que là
où nous étions, les obus avaient bien plus de chance de nous
atteindre que les éclairs : le jeu était devenu une question de
survie. Alors, votre mari est arrivé bravement à nos lignes et à
sauté dans le trou où j'étais pour éviter les balles qui fusaient
de tous cotés.
Dès
que j'ai vu son uniforme bleu, j'ai saisi
mon poignard et le brave homme qui avait couru
au mépris du danger se retrouvait poignardé dans le dos par le
lâche
que j’étais.
Je l'ai tué sans réfléchir, tout simplement parce qu'il avait un
équipement différent du mien. Tout simplement, parce que depuis mon
plus jeune âge,
on m'avait appris que les français
étaient mauvais et que les tuer n'était pas grave. Pourtant, après
avoir tué votre époux, je suis resté plus de deux
heures avec lui dans la même
boue épaisse
et collante, sur le même
monde. Les humain sont-ils si différents qu'il leur faut
s’entre-tuer ?
Durant
ces longues heures qui passèrent comme des siècles pour moi, je me
mis donc à fouiller, très impudiquement, son pardessus. C'est là
que j'ai trouvé votre adresse ainsi qu'une petite photo usée par
les doux regards de votre mari. J'ai également récupéré, sur lui,
son alliance de mariage ainsi qu'une bague en aluminium joliment
sculptée dans un de nos mortels obus. J'espère que de là où il
s'en est allé, il ne m'en veut pas de lui avoir pris ces objets pour
vous les remettre. Et puis, je ne voudrais pas que l'homme à qui
j'ai injustement donné la mort, reste sans sépulture comme tous ces
cadavres qui se tordent là, sans couverture, sans rien abandonnés
des hommes et de Dieu.
Je
vous en prie, avec ces objets joins à ma missive et d'autres de ses
effets personnels, faites un cercueil et enterrer le. Je souffrirai
trop de savoir qu'un homme si brave, un héros, puisse mourir sans
laisser de trace. Une vraie sépulture sur laquelle sa femme et sa
petite fille pourrons se recueillir. Un sanctuaire calme, à l'abri
de la folie destructrice des hommes, ou même son assassin pourrai
venir pleurer sa disparition tragique. Le jour où les Français et
les Allemands seront des amis et même des frères, je viendrai me
recueillir dans le petit village de Normandie où vous habitez. Si
vous l'acceptez, je prendrai soin de vous.
Ernest Goell
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire