mardi 19 janvier 2016

Lettre de Ernest

Ernest était un soldat allemand sur le front ouest (France), il fut marqué à jamais par l'expérience, très violente, de la guerre des tranchées. 



A Madame Marthe Duval et sa fille Jeanne,


      Je suppose que vous devez être bien étonné de recevoir cette missive alors que vous ne pensiez plus recevoir de courrier du front. Alors même que le dernier qui vous est arrivé était l'enveloppe noir du malheur et du chagrin que vous ne souhaitiez, j'imagine, recevoir pour rien au monde. Hélas cette lettre sera peut être pour vous pire encore car ,comme vous l'avez sans doute déjà remarqué,je m'appelle Ernest et je me bats du côté allemand du front. "Un ennemi !" vous exclamerez vous sans doute d'une vois effrayé; et je ne pourrais que vous donner raison. En effet, depuis la mort de votre époux je suis même devenu, pour vous, l'Ennemi.

      C'est moi qui, de mes propres mains jadis d'une blancheur candide mais désormais taché du sang noir des défunts, ai volé la vie de votre mari, le père de votre fillette innocente. Je vous ai fait compagne et enfant de la mort, veuve et orpheline. Jamais je ne pourrais m’accorder un pardon et tous les efforts des religieux pour racheter mon âme auprès de Dieu resterons vain. Jamais son visage et son nom ne s’effaceront de ma mémoire. Chaque fois que je fermerai mes yeux, je le reverrais, souffrant. Plus jamais je ne connaîtrai le vrai repos et la paix éternelle.


      Pourtant tout s'est passé si vite, sur ce bout de terre labouré par les obus. Je m'étais mis à l'abri de la canonnade dans un trou creusé par l'un de ces oiseaux de la mort. A l’abri, seul, j'écoutais le bruit des explosions, comme petit je comptais les secondes d'intervalle entre la lumière éblouissante de l'éclair et le bruit sourd de l'orage. Sauf que là où nous étions, les obus avaient bien plus de chance de nous atteindre que les éclairs : le jeu était devenu une question de survie. Alors, votre mari est arrivé bravement à nos lignes et à sauté dans le trou où j'étais pour éviter les balles qui fusaient de tous cotés.

      Dès que j'ai vu son uniforme bleu, j'ai saisi mon poignard et le brave homme qui avait couru au mépris du danger se retrouvait poignardé dans le dos par le lâche que j’étais. Je l'ai tué sans réfléchir, tout simplement parce qu'il avait un équipement différent du mien. Tout simplement, parce que depuis mon plus jeune âge, on m'avait appris que les français étaient mauvais et que les tuer n'était pas grave. Pourtant, après avoir tué votre époux, je suis resté plus de deux heures avec lui dans la même boue épaisse et collante, sur le même monde. Les humain sont-ils si différents qu'il leur faut s’entre-tuer ?

      Durant ces longues heures qui passèrent comme des siècles pour moi, je me mis donc à fouiller, très impudiquement, son pardessus. C'est là que j'ai trouvé votre adresse ainsi qu'une petite photo usée par les doux regards de votre mari. J'ai également récupéré, sur lui, son alliance de mariage ainsi qu'une bague en aluminium joliment sculptée dans un de nos mortels obus. J'espère que de là où il s'en est allé, il ne m'en veut pas de lui avoir pris ces objets pour vous les remettre. Et puis, je ne voudrais pas que l'homme à qui j'ai injustement donné la mort, reste sans sépulture comme tous ces cadavres qui se tordent là, sans couverture, sans rien abandonnés des hommes et de Dieu.

      Je vous en prie, avec ces objets joins à ma missive et d'autres de ses effets personnels, faites un cercueil et enterrer le. Je souffrirai trop de savoir qu'un homme si brave, un héros, puisse mourir sans laisser de trace. Une vraie sépulture sur laquelle sa femme et sa petite fille pourrons se recueillir. Un sanctuaire calme, à l'abri de la folie destructrice des hommes, ou même son assassin pourrai venir pleurer sa disparition tragique. Le jour où les Français et les Allemands seront des amis et même des frères, je viendrai me recueillir dans le petit village de Normandie où vous habitez. Si vous l'acceptez, je prendrai soin de vous.



Ernest Goell        

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